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En 1974, John Lennon disait : Le rock français c'est comme le vin anglais. Ce qui précisément veut dire, et il aurait dû le formuler ainsi : Le vin français c’est comme le rock anglais. Ce qui est vrai, surtout dans la région de Toulouse où réside Heddy - terroir fier de son Fronton et de ses Gaillac. En 2023, on peut se poser la question : Le vin anglais commence-t-il à faire ses preuves ? On se souvient que dans les années 70, les britanniques se moquaient du rock choucroute des allemands. Si cet album de Jobo s’approche du vin français, il s’approche donc du rock anglais, n’est-ce pas ? Se moqueraient-il maintenant de ce wine rock ?
Heddy Boubaker est un insaisissable musicien autodidacte toulousain en perpétuelle métamorphose. Nous l’avons entendu au saxophone alto, puis saxophone basse, qu’il a délaissé pour le synthétiseur modulaire analogique pour réapparaitre plus tard à la basse électrique. Le voici à présent, surprise, à la guitare électrique. Peu importe l’instrument, c’est la démarche d’improvisation tous azimuts et le plaisir de découvertes qui l’anime. Il veut s’étonner lui-même sinon cela ne l’intéresse pas, c’est là son point fixe, son obsession. Donnez-lui une casserole et il fera un concert. Il se dit même qu’il est à l’origine des récentes fanfares de casseroles dans les rues Toulousaines.
Yann Joussein pourrait paraitre plus « cadré ». Il se concentre sur la batterie et les percussions électroniques. Il n’en est moins touche à tout : du free jazz à la musique bruitiste, de la musique minimaliste au free rock. Il aime se glisser dans différents idiomes. Et lui, il est diplômé de tout cela, et même primé. Co-fondateur du collectif Coax basé à Paris, lui aussi multiplie les rencontres.
Et c’est là qu’Heddy et Yann se rencontrent : sur ce terrain de la folle improvisation libre. Ils se retrouvent pour « faire du boucan », pour citer Jimmy Page décrivant le futur projet Led Zeppelin. L'album est un abécédaire - 26 morceaux de A à Z. J’avoue que s’il y a un lien entre les titres et la musique, il faut certainement un cerveau super développé, probablement augmenté d’une intelligence artificielle pour le comprendre. Mais laissons-là le mystère. Ce sont 26 courts condensés d’énergie que le duo projette dans nos oreilles et dans nos corps. Des énergies proches d’un Crunch France-Angleterre du tournoi des 6 nations, où spectateur on termine le match épuisé. Nos neurones miroirs ont subit les assauts des hoquets du guitariste, les incessantes vagues d’accélérés du batteur, ses crescendos, ses polyrythmies - la guitare dans les hauteurs, les ouvertures de toms côté droit puis dans l’oreille gauche pendant que le guitariste fonce au centre - ruck, roulements sur les futs de gauche à droite - ouverture. Le « rideau bleu » est ici un mur de son. Ils ne sont pourtant que deux.
Ils n’ont pas eu besoin d’aller enregistrer à Abbey road pour atteindre cette virtuosité. C’est dans le calme d’une vallée de la haute Ariège au studio Pierre Vive que Rodolphe Collange a fixé ces 26 titres. Et ça sonne rudement bien ; large dans l’espace de la batterie, précis toujours, compact dans la dynamique. La caisse claire et la guitare sont ensembles au fond d’un triangle qui s’ouvre progressivement vers nous : cymbales, multiples toms jusqu’aux roto toms à l’avant-scène. Et, face à eux, auditeur actif, vous pouvez accompagner l’écoute de ce disque d’une improvisation de débouchage de bouteilles – de Gaillac bien sûr. Mais n’en buvez pas trop, la musique déjà vous rendra saoul.
-- J-Kristoff Camps

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[…] Jobo oscille en effet entre le Grind Core et le Math Rock, deux styles réputés aussi bien pour la rapidité et la brièveté de leurs titres que pour la virtuosité nécessaire à leur interprétation, mais les deux hommes en attisent encore l'intensité par leur choix d'une improvisation sans filet. Les vingt-huit plages de cet "Abécédaire" justifient donc de son intitulé, mais suggèrent également la concision de ses pièces. Dans "April in Paris", publié en 2020 par le trio Tribalism3, le batteur avait déjà montré son intérêt pour les rythmes binaires lancés à pleine vitesse et la transe suscitée par la réitération de motifs semblables. Ici, la transe est perceptible dans les figures acrobatiques de la batterie et les riffs infernaux de la guitare, mais elle se mêle à une forme de sidération devant la complexité des échanges et l'énergie de leur exécution. Ce qui fascine plus encore l'auditeur, c'est la singularité de chaque titre. La créativité des deux artistes semble infinie tant les propositions déclinées au long de ces quarante-cinq minutes de sprint assumé divergent par leur approche et leurs multiples orientations. Accords aigus sur friselis de cymbales, déflagrations électriques sur roulements de toms, sécheresse de la caisse-claire et foisonnement de notes étouffées, progression harmonique et breaks stroboscopiques, arpèges pressés et tintements de cloches, glissandos enivrants et crescendos épileptiques, chaleur du rock échouée sur des frappes chirurgicales, rebond avorté par un cluster soudain… Les deux musiciens se soutiennent autant qu'ils se piègent et labourent ensemble un champ des possibles assez large pour y accueillir toutes les variantes de leur complicité.
JoBo pour JOussein et BOubaker ! Voilà une alliance sur laquelle je n'aurais guère parié tant leur trajet respectif me semble éloigné. Pourtant les fruits de cette rencontre, que je n'aurais jamais imaginée, se révèlent parmi les plus juteux et, pour tout dire, les plus savoureux auxquels il m'ait été donné de goûter depuis un bon moment.Joël Pagier -- Revue & Corrigée, juin 2024
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J'aime les duos, il n'y a pas d'autre choix que de donner de soi dans un duo. C'est quitte ou double un duo. C'est un vrai jeu d'équilibre. Ces deux-là de JOBO me rappellent les heures glorieuses d'un pan de la noise dégingandée à la fin des années 90 / début 2000. Je pense à GRAND ULENA par exemple, aux RUINS, à AHLEUCHATISTAS (trio par contre) , à COLOSSAMITE, GORGE TRIO, mais aussi à TERMS plus récemment. JOBO est charpenté à l'impro, à base de rock certes mais grand ouvert au free. J'ai plongé direct. YANN JOUSSEIN tient la batterie, une batterie vive qui a tendance à s'envoler mais aucun problème, il la tient en joug et sait rapidement la faire revenir sur le plancher des vaches. Le traitement du son au niveau de cette batterie lui donne un quelque chose de très électronique. C'est bien fait. J'ai Eli KESZLER qui me vient en tête... JOUSSEIN est un des piliers de chez COAX, batteur dans de nombreux projets notamment dans HALA DUETT avec Franck GAFFER (SHEIK ANORAK...) que l'on connaît bien dans ces pages. Mais ici, il s'est acoquiné à Heddy BOUBAKER qui est visiblement un vrai touche à tout : il aime lamper autant le Gaillac que le sax alto, tâter le synthé modulaire ou comme ici s'extérioriser sur le manche de sa guitare électrique. Ce Toulousain d'origine marseillaise (1963) ne tient pas en place et sait faire le pas de côté pour mieux se décaler et améliorer sa pratique. Entre la batterie folle et les sons de cette guitare, j'ai parfois presque l'impression que le son est pitché, c'est étonnant sur 'valétudinaire' par exemple... Entre les coups d'accélérateur, les yeux fermés et la tête baissée, JOBO joue de syncopes en syncopes et ne laisse que très peu de respiration dans sa course effrénée... Arythmie totale quitte à tomber en syncope justement... J'ai franchement écouté le disque 4 fois de suite, les 26 morceaux, l'alphabet donc, je ne les vois pas passer, je dois avoir quelques capacités à aimer la complexité chez les autres mais peu importe, j'ai franchement adoré écouter la musique de ces deux JOBO. Une vraie découverte pour moi.
Erwan Cornic -- STNT, janvier 2024
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With considerably less space for all things improvised, there are always exceptions. When it’s down to me, of course. Heddy Boubaker is an electric guitarist, and Yann Joussein is a drummer& they work as Jobo (or maybe as JoBo?). Boubaker’s work was reviewed before, but *perhaps* not Joussein’s& I don’t know much about either of them. The inner sleeve of this CD is reserved for liner notes, but I can’t read these, partly because it’s in French (and I know I am not supposed to complain about that& let me say it’s a severe limitation if you want to reach an audience beyond the borders of your language) and partly because the print is so damn small (alright, it’s also on Bandcamp). This album has twenty-six short tracks, from ‘Alacrite’ to ‘Zwinglianisme’, each new track and a new letter from the alphabet. What attracted me, the not-so-much-into-improvised-music listener, was the brief character of these pieces. Very few are over two minutes, and none are longer than that. The two men play with unusual aggression, attacking drums and guitars. While their playing of these instruments is relatively conventional, the guitar is a guitar, and the drums sound like drums. Their playing is more akin to punk music, with brutalist short attacks on both instruments, and the fact that they never stretch their pieces gives this the aggressive punk vibe that I like in improvised music. I’m thinking of The Ex here, sans (and that French) any vocals, but sharing their love for a jazzy outburst. At forty-six minutes and twenty-six tracks, this is no easy listening music, but that’s not the intention. As always, I think this kind of music is best enjoyed in a concert setting, as at home, it’s hard to replicate the same volume and intensity or the interaction of musicians and audience. I can’t turn up the volume required for this kind of music at home, but I tried, and the result was close enough for a massive thumbs-up.
Frans de Waard -- Vital Weekly, janvier 2024
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Abécédaire (Alphabet learning book) offers 26 short pieces in alphabetical order from A to Z, that realize Boubaker and Joussein’s fearless sonic vision of making a joyful noise with wild, energetic and uncompromising free improvisation. Boubaker and Joussein focus on each piece on a simple, raw motif, grind it into exhaustion in super fast and dense dynamics, spit its remains and jump head first into the next one. There is no time for reflection, even for breathing, or diving deeper, just immediate, nervous action and reaction. The longest pieces are a little longer than two minutes.
Boubaker has developed a unique vocabulary on the electric guitar and he challenges Joussein’s manic polyrhythmic patterns with its twisted, thorny lines, as Joussein keeps Boubaker on his toes with his reckless energy. The interplay is wild but precise and compact, and Boubaker and Joussein never stop searching and exploring more modes of interaction.Eyal Hareuveni -- Salt Peanuts, février 2024